Incidents et accidents sur la ligne 4
Pour les petits incidents ou gros accidents qui ont émaillé les six années d'exploitation de la ligne, je ne peux que citer in extenso le chapitre consacré à ces événements par M. Jean Boutonnet dans son ouvrage "Le Tramway Castel - Lavit" (voir bibliographie); je le remercie ici de m'avoir autorisé à le publier.
" Si le tramway de Lavit a laissé quelques traces dans les mémoires, ce n'est ni pour son utilité, ni pour ses nuisances. Nul n'évoque jamais le gaspillage des deniers publics, l'entêtements des promoteurs, la gloriole politique. Parler du tramway, c'est toujours provoquer le sourire de ceux qui l'ont connu et utilisé. L'un se souvient des bouillottes que l'on proposait aux passagers l'hiver, l'autre de l'allumage des lampes à huile dans le train du soir, le troisième de la rage du contrôleur qui transformait le billet en passoire entre St Nicolas et Castelsarrasin. Mais la plupart se souviennent des retards impressionnants qui laissaient dans l'angoisse les futurs voyageurs. Il est vrai que le train mettait 1 h 30 pour 25 km de trajet, que sa vitesse en ville, dans les courbes, et les montées ne dépassait pas 10 à 12 km/h. Il est vrai, aussi, que le moindre incident de parcours, une manœuvre supplémentaire, un chargement ou un déchargement de marchandises plus long qu'à l'ordinaire, un arrêt imprévu pour prendre un passager hors des stations (à la grande colère du contrôleur, soucieux, lui, de l'horaire et du règlement), une affluence de voyageurs auxquels il fallait vendre les tickets, un excès de bagages pour lesquels n'avaient pas été rédigées les feuilles d'expédition, et que sais-je encore ? tout cela perturbait une liaison déjà " rallongée " par le détour de St Nicolas. Et comme les haltes et stations n'étaient pas reliées entre elles par le téléphone, les responsables et les voyageurs attendaient dans l'ignorance la plus totale. Ajoutons que la formule du " train facultatif " créé en 1931 n'arrangea pas " l'image de marque " du tramway car on ne savait que rarement si le convoi était parti ou non !
Pourtant, ce ne sont pas encore ces incidents qui ont le plus profondément marqué les mémoires. Non. Ce sont les " accidents " ; causes essentielles des retards. A tel point que, impressionné par la concordance des témoignages, j'ai voulu en avoir le cœur net. La chose fut aisée. Les Archives Départementales conservent dans la Série S Suppléments sous les côtes 1042 et 1043 les dossiers relatifs aux accidents du travail et aux accidents de la circulation. .../...
Pour la circulation, j'ai relevé pour la période de mai 1927 à décembre 1933, dates limites de l'exploitation sur cette ligne, 16 " événements " pour 5 ans et 8 mois de circulation (dont 2 ans à 4 trains-voyageurs et 2 train-marchandises). Cela n'est pas énorme et explique mal la permanence ces accidents dans le souvenir. Deux déraillements et une avarie le même mois de mars 1929 sont sûrement responsables de la mauvaise réputation du tramway. Les retards occasionnés par les déraillements sont énormes. Les employés doivent avertir la gare la plus proche... qui avise la " tête de ligne " où se trouvent la locomotive (sous pression) de réserve et le wagon-grue. Sa remise sur voie n'est pas toujours aisée. Il faut ensuite laisser le temps aux " réparateurs " de regagner leur gare. Tout ceci peut facilement occuper deux à trois heures et perturber le trafic de toute la journée ! De plus, tout incident offre un côté spectaculaire non négligeable !
Le 26 mai 1927, quelques jours à peine après le " lancement ", un boulon casse sur la voie à l'approche de St Nicolas: déraillement de la locomotive : une heure de perdue.
Le 2 février 1928, c'est en gare de Castelmayran que deux voitures quittent les rails : une heure et demie de retard. En juillet de la même année, le 28, nouveau déraillement à Caumont, lors d'une manœuvre. Et puis, voilà la série noire : 6 mars 1929 : avarie qui nécessitera le changement de locomotive, le 9 mars : déraillement d'un wagon de 10 tonnes d'engrais à un kilomètre du Moutet, le 15 mars, nouveau déraillement à Castelsarrasin dans le virage au bout du boulevard du 24 février (Louis Sicre), près de la Croix de Fer. Les derniers incidents, sorties des rails à St Arroumex le ler août 1930 et au Moutet le 27 mars 1931, ne donneront pas lieu, comme ce fut le cas à St Nicolas. Castelmayran et Castelsarrasin à des rassemblements de curieux considérables.
Les causes de ces déraillements ne figurent pratiquement jamais dans les rapports (sauf pour celui de 1927). La vitesse ne saurait être une explication car le tramway ne dépassait guère 20 km/h . L'état de la voie paraît une cause plus vraisemblable. Cependant ces 7 déraillements bénins ( en 68 mois d'existence) démontrent combien le " service d'entretien ", à partir des gares et halles, était efficace et sérieux.
Pour les accidents de circulation nous disposons de rapports détaillés dressés conjointement par le contrôleur et le mécanicien, rapports adressés au Directeur de la Compagnie. Ils sont au nombre de huit, dans l'ensemble sans gravité, et en tous cas tous indépendants de la manceuvre du conducteur. On ne trouve pas d'accidents tragiques involontaires comme celui qui, en 1926, coûta la vie au curé de Lunel sur la ligne 1 Montauban-Molières.
Voici, pour l'anecdote, ceux qui concerne la ligne de Lavit.
Le 27 janvier 1929, entre Castelsarrasin et St Aignan, vers 10 h, le mécanicien Nègre conduisant le train B, aperçoit, à 150 m du pont, un cycliste roulant à 1 m de la voie. Pour le prévenir, il actionne la cloche, mais, au lieu de s'écarter vers la gauche, le cycliste oblique brusquement à droite et roule à présent entre les rails. Nègre, surpris, coupe le moteur, serre les freins. Hélas sur la lancée, la motrice heurte l'homme et le projette sur le bas-côté. Heureusement, le choc en bout de course n'a pas été trop violent. L'homme se relève aussitôt. Il porte quelques contusions aux coudes et au genou droit. La bicyclette, par contre est inutilisable. Le blessé, Roches Julien, de Castelferrus explique qu'il a bien entendu la cloche mais que, croyant à l'arrivée d'une automobile, il a serré sur la droite.
Le 29 janvier 1930, un autre habitant de Castelferrus, Ferrié, rentrait au village en charrette. A 200 m du pont, il entend, dans son dos, arriver le tramway. Il tente de dégager vers la gauche mais n'en a pas le temps. La locomotive, conduite par Nègre, heurte la charrette par l'arrière, la pousse un instant puis la projette sur le côté gauche. Rien de grave, pourtant: du bois cassé et une belle peur. Précisons qu'il était 18 h 40, qu'il faisait nuit et que la charrette ne portait aucune signalisation.
C'est Lacroix qui conduisait la train C du 28 mai 1930, une automotrice. Le convoi circulait sur le pont de Trescassés. Il était 16 h 12 quand la motrice s'arrête net. Lacroix descend aussitôt. Le tramway avait touché la charrette du nommé Pujol mais sans provoquer le moindre dégât. L'homme a reconnu ne pas s'être suffisamment serré. Il ne s'est plaint de rien.
Autre accident insignifiant, celui du 21 juillet 1930. Le train C, conduit par Nègre, se dirigeant vers Castelsarrasin, heurte un cheval à 250 m de la station St Aignan. L'animal, attaché dans un pré, près de la voie, s'est brusquement affolé, a rompu la corde et s'est jeté sur le tramway. " Il était trop près pour que je puisse l'éviter " précise Nègre. Le cheval portait une profonde plaie à la cuisse. Les propriétaires ont reconnu, devant témoins, leur responsabilité . Le cheval était reconduit à l'écurie à 14 h.
L'accident du 17 octobre de la même année est plus sérieux. Il est 18 h . L'automotrice conduite par Lacroix s'arrête net juste au passage du pont de la Sère, commune de Castelmayran. Cette fois, le mécanicien est inquiet car il a vu une ombre sortir d'une haie au moment précis où arrivait le tramway, Près de la voie, avant le pont gît un homme, face contre terre. Mais son bras gauche, sur le rail, est sectionné au-dessus du poignet. Un automobiliste de passage consent à transporter l'homme, un nommé Borat, à la clinique St Sauveur. Ce rapport, de Picard, chef de train, ne donne aucun renseignement sur la suite, évidemment, mais précise que le retard, ce jour là atteignit 2 h 33 !
Accident mortel le 16 juillet 1931, aux alentours, de midi. Nègre roule à faible allure dans la courbe qui suit la gare de Castelmayran pour rejoindre Le Moutet. Tout à coup, un homme se jette sous la machine. Nègre stoppe en catastrophe. Picard descend du fourgon. Il court .... Un homme gît sous la deuxième roue de la machine ; le corps est littéralement broyé. La halte du Moutet est à 200 m à peine. On prévient la gendarmerie .... Les témoins ont bien vu " le malheureux plonger sous la machine ". Il se nomme Mirzak Blazek et est de nationalité tchécoslovaque. Le suicide ne fait aucun doute. Les voyageurs manqueront leur déjeuner: attente 1 h 30 .
Le rapport concernant l'accident du 4 août 1931 est très succinct. A St Arroumex, le tramway heurte une voiture à cheval. Aucun dégât.
Le 28 avril 1932, c'est encore une voiture à cheval que Nègre, mécanicien du train 358, heurte près de Castelmayran. Il a pourtant pris des précautions : " j'ai remarqué que le cheval n'était pas effrayé : personne n'est descendu pour le tenir. J'ai ralenti et juste au passage, l'animal a reculé ". En fait, le cheval a jeté la charrette contre le wagon de queue. Les 3 personnes de la famille Guittard se sont retrouvées à terre. La femme a prétendu avoir été piétinée, mais personne ne portait de blessure apparentes. Dégâts matériels : 2 brancards cassés.
Voilà donc rapportés les principaux " événements " qui marquèrent les mémoires. Peu de choses en vérité."
Il y aura une dernière victime , un jeune garçon de Lavit qui sera écrasé par le wagon avec lequel il jouait. En effet, en 1934, du matériel a été abandonné en gare de Lavit, et les garçons ont pris l'habitude de jouer avec :
" Le 6 avril 1934, Sounès, propriétaire à Lavit, entend le roulement d'un wagon dévalant à la sortie de la gare. Étonné, il s 'arrête, regarde, puis, intrigué de ne voir personne, prend le sentier qui suit la voie... et découvre aussitôt le corps d'un enfant, écrasé par le tombereau qui continuait à rouler. Affolement. La gendarmerie n'est pas loin. L'enquête est rapide. Il s'agit de Paul Petit, 14 ans, sorti de l'école une demi-heure après ses camarades. " Nous supposons qu'il a desserré le frein, ôté une cale. Le wagon a parcouru 300 m d'après les traces sur l'herbe de la voie et s'est arrêté à 100 m après l'accident. Paul Petit apeuré, a-t-il sauté, ou bien, assis sur le tampon, a-t-il glissé ? ".