Comment creusait-on un tunnel ...
J'emploie
volontairement l'imparfait. Actuellement, on creuse toujours des
tunnels ferrovoiaires, des tunnels routiers, avec des outils puissants, des tunneliers
qui creusent un trou cylindrique et posent dans la foulée des voussoirs...
et le tunnel est terminé. (voussoir : pièce de béton en arc de cercle
qui assemblée avec d'autres, forme un cylindre protégeant de tout effondrement.)
Comment creusait-on un tunnel au
19ème ou au début du 20ème siècle quand on ne disposait d'aucun outil
puissant : simplement les bras des hommes et des pioches, des pelles,
des wagonnets Decauville ?
Je vais essayer de reconstituer le creusement d'un tunnel en m'appuyant sur les
photos d'Elie Diu qui a suivi régulièrement les travaux de creusement
du tunnel de Castelsagrat.
Pour commencer, un peu de vocabulaire :
Trois parties principales dans un tunnel : la voûte, le piédroit et le radier. La
partie où le terrain risque de "pousser" le plus est la moitié
supérieure d'où la forme voûtée qui offre plus de résistance à la
poussée du terrain.
Le creusement d'un tunnel dépendait essentiellement de la consistance
du terrain : si celui-ci était friable (terre, roche tendre) on allait
peut
être creuser une tranchée que l'on recouvrait. Si la roche était plus
dure, on soutenait le terrain par une maçonnerie; si la roche était
dure, on la laissait dans l'état.
A
Castelsagrat, la roche n'était pas très dure et dans certaines zones
trop tendre ou peu sûre. A l'aplomb des deux portails, nous verrons
que l'on a enlevé une
grosse partie constituée de terre trop instable et construit une voûte
qui sera recouverte plus tard. Pourquoi ? Je pense que ce choix a été
fait car il y aurait eu des risques d'éboulement pendant les travaux.

On voit bien sur cette photo prise ne
février 1912 au début des travaux : de part et d'autre la pente est
régulatisée à environ 45°, par contre sur le front d'attaque, les
ouvriers sont répartis sur la pente et font tomber la terre jusqu'à
arriver au rocher. La tête du tunnel actuelle est peut-être à la hauteur du premier personnage à droite.
Début du creusement en avril
2012. Nous voyons que l'entrée de cette galerie d'attaque est
constituée de roche. On creuse une galerie d'environ 2.80m de hauteur
(estimation
d'après la taille des personnages), juste assez large pour laisser
passer le wagonnet Decauville tiré par un âne. Le haut de cette galerie
sera aussi la voûte du tunnel.
Voici schématisé la grandeur de la galerie de départ sur une photo actuelle.
Analysons finement cette photo :
les ouvriers posent dans la galerie ; l'un est assis sur le châssis
d'une wagonnet dont la benne est basculée (inscription Decauville
verticale) dans une galerie à gauche des poteaux ; il y a donc un
aiguillage sous le wagonnet au centre. Par terre on voit des pierres
(ou des blocs de terre) ; il y a des poteaux de souténement, mais pas
de de planches : le terrain est donc assez sûr. A l'intérieur de la galerie , il faut remarquer que la hauteur n'est plus que de 2.5m.
Examinons de plus près cette photo.
Que porte cet ouvrier sur ses épaules ? On dirait trois ou quatre très longues mêches avec un manche au bout : des tarières.
Les voici appuyées sur la paroi
du tunnel : je pense que ces tarières servaient à percer la roche plus
ou moins tendre afin d'y disposer des mines... Là, nous sommes sur le
front d'attaque : le terrain parait plus instable, car il y a des
planches qui
retiennent le terrain de chaque côté des poteaux.
Trois mois plus tard, la voûte
est en cours de construction jusqu'en haut des piédroits. Les trois
pierres à l'extrême droite sont les deux pierres du bas de la voûte du
portail sud et la première du piédroit. On va donc recouvrir avec des
déblais une bonne vingtaine de métres du début du tunnel.

Les trois pierres repérées par des flêches. Donc à ce moment il faut
encore creuser presque la moitié de la hauteur du tunnel pour arriver jusqu'au radier.

Portail nord : le terrain doit avoir une autre dureté car on a construit
un simple arc de cercle de la voûte et on a creusé jusqu'au radier.
mais sans atteindre les piédroits; remarquer les renforts qui
empêchent les parois de s'effondrer.

Coupe actuelle de la colline mais aussi valable avant 1912. Le bas de
la colline à hauteur des portails était constitué de terre meuble ou de
roche de mauvaise qualité.

On a donc, à l'endroit de chaque portail, enlevé la terre jusqu'à
arriver à de la roche de qualité; mais pour éviter de futurs éboulements
dus à une pente trop raide, on a maçonné le tunnel à l'air libre, puis
recouvert avec les déblais.

Les
maçons au travail : le tunnel est en cours de construction, au pied
des déblais qui vont le recouvrir ; cet ouvrier dans le wagonnet
Decauville descend des pierres pour les maçons. D'après ce que j'ai
observé dans le tunnel actuel, toute la voûte et les piédroits ont
été maçonnés, mais avec des pierres quasiment brutes, on a réservé les
pierres taillées aux portails.


Deux photos prises du même endroit à 3 semaines d'intervalle ;
construction de la voûte : on voit bien les arceaux de bois
d'échafaudage ; les pierres sont maçonnées par dessus, remarquer le
mortier de chaux dans un wagonnet. Les pentes de chaque côté sont à un
angle convenable, par contre c'est encore trop raide au dessus de la
tête du tunnel, il y a une quinzaine de mètres à recouvrir.
La tête sud du tunnel est en
cours de finition : il manque trois pierres en haut, dont la clé de
voûte, et on pourra enlever l'échafaudage et déverser de la terre à
l'endroit où se tiennent les ouvriers. On comprend que le chantier s'achève de ce côté : les planches de coffrage sont jetées en vrac sur le bord.
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