La construction des lignes : la main d'oeuvre.
J'ai très peu de renseignements sur les hommes qui ont construit les lignes du tramway. C'est vrai que la main d'oeuvre a du être moins importante que pour la construction d'une ligne de chemin de fer classique ; les six lignes des TTG étaient en majorité construites en bordure de route : un simple décapage de macadam sur 35 cm de profondeur, la pose de ballast ou de mâchefer et la voie était posée, sauf dans les zones inondables (ou l'entre rail était pavé) et la traversée des villes et villages. Mais sur la ligne 6, il y a eu des ouvrages d'art (ponts, tunnels) et des parties de lignes en site propre qu'il a bien fallu aménager, nécessitant donc une main d'oeuvre plus importante . L'examen attentif des photos de la construction du tunnel de Castelsagrat m'a poussé à y réfléchir. J'ai à ma disposition deux ouvrages "Les piqués de l'aigle" de Claude Harmelle une étude sociologique sur Saint Antonin Noble Val et sa région qui traite en profondeur de la construction de la ligne Montauban au Lot au milieu du XIX ème siècle ; deuxième ouvrage "Cahors-Moissac une ligne ferroviaire oubliée 1920-1930" de Paul Dausse qui retrace l'épopée de la construction de cette ligne jamais achevée. Le mérite de ces deux ouvrages est qu'il laisse une grande place aux hommes qui ont travaillé sur ces deux chantiers, l'un bien avant la construction des TTG et l'autre après.
Les chantiers de construction de voies ferrées apportent du travail dans les campagnes tarn et garonnaises où de nombreux hommes sont sous employés. Claude Harmelle écrit : "... le Courrier du Tarn et Garonne parle de 575 employés, en ce moment (mai 1855) aux travaux du chemin de fer dans le canton de St Antonin ; et un mois plus tard le chiffre s'élève à 848 ! Sur ce total, tous ne sont pas étrangers au pays : l'attrait des salaires de 2.50 F à 3 F par jour pour les terrassiers est vif pour une population laborieuse mal rémunérée." Beaucoup d'hommes de St Antonin, peu qualifiés seront embauchés comme terrassiers, mais on emploiera aussi des tailleurs de pierres, maçons, charpentiers, mais aussi des charretiers et rouliers...
Un
train venant de Lexos va traverser le tunnel de Saint Antonin puis
arriver à la gare. Remarquer le gabarit du tunnel creusé pour la double
voie.
"Mais l'essentiel de la
main d'oeuvre la plus qualifiée est une population nomade, qui a
travaillé sur d'autres chantiers... et qui se déplace au fur et à
mesure des ouvertures de tracés(1). Le Courrier du Tarn et Garonne écrit :
cent ouvriers belges, enfants et jeunes filles, viennent d'arriver dans
nos contrées dans l'espoir dans l'espoir de prendre part aux travaux de
creusement du chemin de fer section de Montricoux à Montauban."
Le
tunnel du rocher de Bonne. Il a fallu creuser six tunnels entre
Montauban et Lexos. Remarquer que la place de la deuxième voie est
occupée par un chemin piétonnier qui a l'air bien utilisé....
Conséquence inévitable pour la vie du village : "Cet important brassage de population provoque une croissance remarquable des mariages.." et par conséquence sur la natalité. "Mais
tout n'est pas rose dans ce bilan et les accidents du travail sont
nombreux sur ces chantiers à la technique et à l'outillage
rudimentaires. La longueur et le rythme des journées de travail, la hâte
des entrepreneurs, l'alcoolisme qui parait répandu sur les chantiers,
augmentant les risques physiques et concourent sans doute à la poussée
de la mortalité qui est remarquable dans toutes les localités
traversées par la voie. En 1856, deux forts éboulements de roches font
six morts entre Najac et Monteils, et en 1857, un autre éboulement fait
17 morts près d'Aubin..."
Et
que se passera-t-il 75 ans plus tard sur Cahors-Moissac ? Fait le plus
marquant, une centaine d'ouvriers Indiens du sous-continent venus
participer au confilt mondial 14/18 aux côtés des Britanniques
resteront en France et travailleront sur le chantier de la ligne.
Les ouvriers Indiens sur Cahors-Moissac.
Paul
Dausse rapporte le témoignage d'un ancien ouvrier de Cahors, Georges
Alix Blanc : "Employé à 12 ans comme
mousse ou apprenti dans l'entreprise Colomb, je faisais les courses
pour les ouvriers, je portais de l'eau, du vin, des outils pour les
faire affûter ; je gagnais 7 F par jour, ... 10h en été, 8h en hiver.
En 1929, en tant qu'ouvrier, je gagnais 30 F par jour... Dans notre
équipe, il y avait une trentaine d'ouvriers, des Espagnols, des
Portugais, des Italiens et des Français... 50% d'étrangers..."
Equipe nombreuse mais outillage simple, pelle et pioche.
Frédéric Blanc le frère de Georges Alix : "Les
Espagnols étaient les plus nombreux, ils étaient vaillants pour charger
les wagonnets. Quand on travaillait avec eux, il fallait en mettre un
coup.(d'après un autre témoignage, l'équipe de chargement était payée à
la tâche, ce qui explique cela)". Roger Bernard de Montagudet :" A
13 ans j'ai commencé à travailler à la ferme, puis à 16 ans sur la
ligne. En 1926, je gagnais 3.25 F de l'heure ; j'ai travaillé tous les
hivers sur les chantiers et les étés à la ferme de mes parents. Mon
pére a aussi travaillé sur le chantier ainsi qu'un cousin de mon
père. Avec l'argent économisé, j'ai pu m'acheter un vélo de 600
F."
Wagonnets Decauville et locomotive à vapeur.
Manuel Pardo de Saint Paul d'Espis : " En 1928, j'avais 15 ans et je travaillais toutes les vacances scolaires comme mousse. Je gagnais 17 F par journée de 10h. Les Indiens étaient très gentils. Un Indien est décédé de mort naturelle en 1928 ; ses compatriotes voulaient le brûler, mon père n'a pas voulu et il a été enterré au cimetière de Piac. Mon pére Manuel et ma mère Pilar étaient arrivés de Saragosse en 1919.
Et
sur le chantier des Tramways du Tarn et Garonne ? La construction
débute en 1910. Je n'ai que peu d'éléments sur les hommes qui y ont
travaillé : vraisemblablement des ouvriers spécialisés suivant des
entreprises pour les travaux sur les ouvrages d'art et hommes de la
région pour les travaux de terrassement. Jean Boutonnet signale seulement que c'est "l'entreprise
Bonnafous de Montauban qui oeuvre à vive allure pour la construction
des stations de la ligne 4 Castelsarrasin-Lavit..." en 1926.
J'ai aussi le témoignage de Monsieur Jean Bernocco de Castelsarrasin
qui avait eu deux photos d'un collègue de travail, originaire de Castelsarrasin, qui avait commencé à
travailler en 1926 sur le chantier de la ligne 4.
Le collègue de M Bernocco est le jeune homme assis sur la locomotive.
Le même à l'extrême-gauche.
Par contre des entreprises extérieures au département sont venues travailler sur les ouvrages d'art, et je le sais d'une manière singulière, par le témoignage d'un habitant de Beaulieu sur Dordogne :
Peu
de temps après avoir publié la carte postale ancienne de la
construction du tunnel de Castelsagrat, vers 2004, je reçois un mail de
cette personne qui recherche un de ses ancêtres qui a disparu !
En effet, ce monsieur, voulant établir son arbre généalogique était
confronté au mutisme de sa grand-mère sur le sort du père de celle-ci.
Il a enfin appris que son ancêtre était employé par une entreprise de
l'Ardêche pour la construction d'une ligne de chemin de fer en Corrèze.
Il avait fait la connaissance d'une jeune-fille, l'avait épousé et ils
avaient eu une petite fille, sa grand-mère donc. Le chantier terminé, son aïeul avait suivi
le chantier laissant femme et enfant en Corrèze pour suivre son
entreprise sur le chantier de la ligne 6 en Tarn et Garonne. Il n'a
plus jamais donné de ses nouvelles et a disparu. Son descendant a fait
de vaines recherches , a même interrogé les armées (il n'a pas été
mobilisé en 14/18). Il me demandait donc si lors de mes visites aux
archives, j'avais eu connaissance d'un accident sur le chantier
du tramway. Je n'ai, malheureusement, pas pu le satisfaire.
Peu d'ouviers immortalisés par E. Diu. Là ce sont sans doute des tailleurs de pierre et des maçons.
Et l'outillage ?
(1)
Lire ou relire "La pie saoûle" d'Henri Vincenot qui retrace bien la vie
de ces ouvriers qui suivent les chantiers de construction des lignes de
chemin de fer.